Avant-propos : il y a peu de sources US qui nous semblent plus intéressantes à lire que Ryan Bernardoni, blogueur fan des Celtics et analyste éclairé des mécanismes de fonctionnement de la NBA. Nous vous proposons donc sa preview de l’intersaison à venir, et des échéances à plus long terme qui impacteront selon lui les décisions imminentes du front office.
L’auteur de l’article le dit, il n’irait pas jusqu’à suggérer que la franchise soit rebaptisée Taco Celtics, mais c’est à peu près la seule chose qui serait vraiment exagérée pour insister sur l’importance de Jayson Tatum vis-à-vis de l’avenir des Celtics.
Dans cette ère où les stars se sont emparées du pouvoir, une épée de Damoclès se tient au-dessus de toute franchise ayant eu la chance de drafter et développer un joueur qui semble en mesure de disputer le titre aux autres stars de sa génération. En ayant été nommé dans une équipe All-NBA au terme de sa troisième saison, et en ayant juste après offert une campagne de playoffs aux stats dignes des meilleures pour son âge, Tatum s’est de facto établi à ce niveau de dangerosité.
Il y a encore peu longtemps, drafter un joueur du calibre de Jayson ouvrait une fenêtre de tir raisonnablement capable de durer au-delà d’une décennie. Pour peu que l’équipe concernée se trouve dans un marché moyen ou plus grand et qu’elle ne soit pas piètrement dirigée, les règles de la ligue et la tradition faisaient que la plupart des joueurs élite restaient dans leur franchise de départ. Ce n’est clairement plus le cas. LeBron James, Kevin Durant, Kawhi Leonard, Chris Paul, Kyrie Irving, Jimmy Butler et Paul George ont tous fait l’inverse à au moins deux reprises dans leurs carrières respectives, que ce soit sur le marché des agents libres ou en forçant un trade. Anthony Davis est dans sa deuxième franchise et serait sur le point de rejoindre sa troisième s’il n’avait pas déjà atterri aux Lakers. Sans le facteur blessures, ce groupe pourrait constituer la moitié des All-NBA Teams d’une saison régulière.
C’est « injuste » d’avoir à déjà prendre ces choses en considération, mais après trois saisons seulement, le sablier Jayson Tatum commence à libérer ses premiers grains de sable. Tous les plans que la franchise échafaudera à compter de cet instant doivent impérativement avoir un impact notable sur le timing du reste de sa carrière.
Le funambulisme entre deux fenêtres de tir
Le challenge pour les Celtics est un challenge bien connu. Posséder en ses rangs un joueur aussi bon que Jayson fait qu’une équipe peut au moins s’approcher du niveau « prétendante au titre » plus tôt que prévu. La possibilité de gagner un titre très vite ne doit pas être ignorée ; aucune chance de titre ne doit l’être. Sans même parler du bénéfice immédiat, si une équipe dans cette position décidait de jouer la patience, elle risquerait de se mettre à dos sa pièce maîtresse d’une manière propice à semer les graines d’un départ ultérieur – et ce même si les décisions qu’elle prend sont faites pour le bien de sa pépite.
Évidemment, le problème c’est qu’une fenêtre de tir impliquant la présence de Walker ne durera peut-être que deux ans. Certes, si l’équipe gagne un titre au cours de ses deux ans, tout le reste n’aura presque aucune importance. Boston est peut-être la « Title Town » des années 2000, mais les Celtics n’ont gagné qu’un titre en 33 ans et les années 2010 n’ont rien rapporté. Décrocher ne serait-ce qu’une seule bague est incontestablement une réussite pour n’importe quelle association entre une équipe et un joueur, même pour celle très prometteuse que forment les Celtics et Jayson Tatum.
C’est pour cette raison que les Celtics doivent dès l’an prochain déployer des moyens de viser le titre. Tatum est la pièce maîtresse de cette tentative, mais Kemba Walker et peut-être Gordon Hayward sont encore des lieutenants de luxe – cependant déjà sur la pente descendante et vieillissants.
Cependant, si l’équipe ne remporte aucun titre au cours des deux prochaines saisons, Tatum n’aura toujours que 24 ans et Jaylen Brown 25. Avec de la chance et une bonne santé physique, ils seront à peine dans la fleur de l’âge. L’équipe autour d’eux doit être construite afin de maximiser cela.
Comment font les équipes pour gérer ces deux impératifs ? Comment doivent en particulier procéder les Celtics ?
La deuxième fenêtre est à prévoir d’abord
La raison pour laquelle tout démarre avec Tatum, c’est parce que ses plus belles années vont définir les restrictions s’appliquant à la fenêtre de tir qui s’ouvre dès aujourd’hui.
Si l’on parvient à définir des objectifs raisonnables quant à l’état de cette franchie d’ici trois à quatre ans, alors nous pourrons déterminer jusqu’où l’équipe peut pousser avec l’effectif actuel.
Comme l’auteur l’expliquait dans sa Partie 1 (non-traduite car très technique), l’une des contraintes principales pour les front offices de la ligue à l’instant est que le CBA de l’an prochain n’existe pas. Les chiffres du salary cap, de la luxury tax restent encore à déterminer, et les mécanismes de fonctionnement basiques de la ligue sont plus ou moins à renégocier. De la même façon, nous ne savons pas encore quel impact l’épidémie de COVID-19 aura à terme. Il est envisageable qu’un vaccin soit disponible et largement diffusé d’ici un an, ce qui permettrait à la ligue de programmer des matchs à guichets fermés, mais c’est tout sauf une certitude. Et même si la COVID-19 n’était pas un facteur, la convention collective actuelle de la ligue est censée expirer en 2024 avec une possibilité pour les parties prenantes de s’en désengager dès 2023. C’est exactement la période qui nous intéresse dans cet exercice.
Il n’y a pas de bonne solution face à tout cela. Tout ce qu’on peut faire à ce stade, c’est imaginer une façon d’opérer raisonnable pour la NBA et espérer que la réalité ne s’éloignera pas trop, qu’il sera possible d’adapter le plan initial. Dans cette logique, l’auteur de l’article a choisi de supposer que le salary cap restera au niveau de la saison 2019-20 (109 millions de dollars) l’an prochain avant d’augmenter de manière artificielle à 115 millions puis à raison de 6 % annuels ensuite. Heureusement, le contrat de la ligue avec les chaînes nationales n’expirera qu’après les saisons qui nous causent tant de réflexion à l’instant. Donc, à moins que la COVID-19 ne chamboule tout encore plus, nous avons au moins ce facteur équilibrant de notre côté. L’auteur de l’article choisit également de supposer que les bases des contrats, des extensions, des cap holds et autres resteront telles qu’elles le sont aujourd’hui.
Avec ces hypothèses, il ressort clairement que les intersaisons 2023 et 2024 sont des points de planification cruciaux pour l’équipe. Le contrat de Walker expire à la fin de la saison 2022-23. À ce stade, en supposant que Tatum aura resigné sur le long-terme à l’issue de son contrat rookie, seuls lui et Brown seront alors sous contrat de manière garantie.
Cela offre à l’équipe l’opportunité de viser la constitution d’une superteam, mais c’est une chose tout sauf facile à faire. Si le contrat à venir de Tatum bénéficie de la Rose Rule et lui offre un contrat à hauteur de (ou presque) 30 % du cap, alors il ne resterait même pas 40 % du cap disponible aux Celtics une fois Brown pris en compte. Sachant que les contrats max des agents libres prennent au moins 30 à 35 % du cap, il n’y aurait alors plus que très peu de marge pour remplir le reste du roster cette intersaison.

Ainsi, si les Celtics ciblaient un FA payé à 30 % du cap, ils n’auraient que 10 millions de libres avec les différentes charges, holds et la présence des Jays. Et encore, la seule raison qui permet d’en arriver là, c’est que Jaylen semble avoir été sous-payé ; de fait, le transférer pour un joueur capable d’être la « troisième star » d’une superteam semble improbable à moins que ce joueur soit encore dans son contrat rookie.
En réfléchissant à l’année qui suit, 2024, Jaylen sera déjà à la fin de sa prolongation et laissera dans les livres de comptes un cap hold équivalent à un contrat max. Ceci rendra tout simplement impossible de libérer un max de 35 % pour un agent libre même avec la seule présence des Jays, et au mieux de 30 % en réduisant tout à leur seule présence.
Tout cela vaut-il la peine qu’on s’y attarde ?
La réaction la plus spontanée à tous ces calculs difficiles est de se dire que les Celtics devraient oublier l’idée d’avoir du cap space tant que Jayson et Jaylen seront dans l’équipe, et de planifier en conséquence. C’est peut-être ainsi que les choses se passeront réellement, mais dans cette ère où les joueurs explorent (de manière tout à fait raisonnable si l’on considère qu’il s’agit de jeunes adultes qui n’ont pas choisi leur équipe de base), une manière de faire en sorte qu’ils ne s’impatientent pas au sein d’une équipe est de les impliquer dans la construction du roster. Même pour des joueurs de niveau multiple All-Star, ce ne serait pas raisonnable, mais Jayson Tatum semble destiné à être plus que ça et à faire partie du groupe de joueurs pour qui cela en vaudrait la peine.
Les dirigeants des Celtics ne peuvent ignorer qu’en 2023, l’un des meilleurs amis et mentors de Jayson, Bradley Beal, pourrait devenir FA s’il décidait d’honorer la dernière année de son contrat actuel. C’est également cette année-là que Joel Embiid et Nikola Jokic pourraient devenir FA s’ils ne signent pas de prolongation entretemps. Giannis Antetokounmpo pourrait lui aussi se retrouver libre s’il refuse le supermax des Bucks et choisit de signer un contrat 2+1 ailleurs afin d’arriver au statut contractuel des 10 ans d’expérience. Kristaps Porzingis devrait également être FA en 2023. Si Anthony Davis continue d’appliquer la méthode Klutch Agency, il pourrait à ce stade ne signer que des contrats d’un an. Karl Towns et le futur copain de Team USA Devin Booker sont, eux, dans le groupe plus difficile de 2024.
Beal est clairement l’homme à craindre ici. C’est un bon joueur, un gros scoreur, et il reste encore étonnamment jeune. Mais ce n’est pas le genre de joueur qui justifie de saigner son équipe pour l’acquérir, et ce encore moins si cela suppose de renoncer à des choses durant la fenêtre n°1. De plus, Beal ferait alors partie du groupe des 10 ans et plus d’expérience et pourrait prétendre à un contrat à hauteur de 35 % du cap, qui rend les choses affreusement compliquées à gérer.
Cependant, si Tatum se développe jusqu’à devenir un top 5, peut-on réellement risquer de lui vendre la profondeur d’effectif comme argument en face de la perspective de jouer avec son meilleur pote All-Star ? Encore plus quand des équipes de Californie, de Floride ou de New York lui offrent eux aussi cette possibilité ?
La contre-possibilité évidente resterait d’acquérir Beal dans un trade avant qu’il ne se retrouve FA. Dans cette planification à moyen terme, une façon d’y parvenir nécessiterait que Beal prenne son option et soit tradé contre Kemba, qui devrait lui aussi prendre son option. Il y a peu de choses à anticiper pour cela, mais beaucoup de suppositions à l’œuvre avec deux joueurs ayant un pouvoir de veto et le besoin probable d’autres équipes pour que cela fonctionne.
Un scénario plus réaliste pourrait être de transférer Brown contre Beal. Ce move affaiblirait cependant notablement l’équipe autour du duo, mais un que l’équipe serait contrainte de faire si l’autre option était de perdre un Tatum de calibre MVP. Si Tatum et Beal veulent se retrouver dans la même équipe à terme, Boston n’est pas l’endroit qui vient naturellement en tête, et c’est ce qui doit déjà commencer à déranger Danny Ainge.
Bien sûr, la prochaine star qui jouera avec Tatum ne doit pas nécessairement être Beal, et pourrait toujours rejoindre l’équipe par un transfert. C’est possiblement ce pourquoi les Celtics étaient si heureux d’envoyer un tel groupe de joueurs à la Coupe du Monde FIBA 2019 : permettre d’établir la présence de Jayson et Jaylen au sein de l’équipe pour les compétitions à venir, où devraient figurer davantage de stars.
On a vu par le passé des joueurs profiter des retrouvailles au sein de Team USA pour échafauder des plans d’avenir en commun, et même s’il est vrai que quelques-uns des tous meilleurs prospects de la génération de Tatum ne sont pas américains, il devrait cependant fréquemment se retrouver avec Booker, Donovan Mitchell ou encore Davis. Bien sûr, c’est à double tranchant car il pourrait décider de s’en aller, mais la timeline dans laquelle Tatum et Brown deviennent des habitués de Team USA et font venir un troisième larron suite à une compétition est une vision réaliste de titres et de satisfaction des Jays.
Tout cela requiert une construction d’effectif à la fois flexible et riche en talent au cours des deux prochaines années afin de pouvoir viser le titre, aborder le marché des transferts à la trade deadline 2022-23, et garder ouverte la possibilité de vider le roster pour attirer des gros FA en 2023. La tâche est claire : il faut à la fois rendre l’équipe compétitive tout de suite, et faire qu’il soit possible de la remodeler en profondeur avant que Jayson n’ait pour la première fois l’occasion de signer une prolongation au supermax en 2024.
Traduction de l’article « Celtics Offseason Preview Part 2 – The Centrality of Tatum » par Leo Hurlin, crédit photo : Maddie Meyer